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Grattan était entre-temps arrivé à la ferme céréalière de mon frère Bill, mais il n’y séjourna pas longtemps. Sa belle-sœur se plaignit de lui, de même que l’épouse de mon frère Littleton, aussi s’en fut-il avec son sac de couchage sous le bras et emménagea-t-il au Grand Central Hôtel de Fresno où le mobilier n’était pas aussi fragile et où il pouvait s’envoyer des putes à trois dollars dans sa chambre et boire jusqu’à ce qu’il donne du front sur la table.

En ce temps-là, il avait adopté la profession de joueur professionnel. Il abordait au bar n’importe quel inconnu affublé d’un pantalon rayé ou d’une veste à carreaux, se montrait aimable et souriait de toutes ses dents brunâtres pendant une heure environ. Il entraînait ensuite le quidam jusqu’à une table de jeu, où il se mettait à tricher impudemment, comme s’il jouait à un niveau intellectuel supérieur. Il fusillait du regard tous ceux qui remettaient en cause son interprétation des règles jusqu’à ce qu’ils se lèvent de leur chaise et s’en aillent. Un jour, il estourbit un type avec un crachoir, puis le traîna dehors, où il lui écrasa la figure contre le bord du trottoir. L’homme roula sur lui-même, en sang, mais ses dents restèrent incrustées dans les planches. On aurait dit un bracelet blanc perdu là par quelqu’un. Patrick J. Conway, le barman, ami d’un temps de mon frère, s’arrangea pour faire circuler cette effroyable anecdote et les gains de Grattan s’accrurent sensiblement, bien qu’il en reversât dix pour cent à son acolyte.

Grat finit cependant par remarquer, carré dans un fauteuil à oreilles, un résident de l’hôtel qui fumait tous les soirs jusqu’à la bague un long cigare en observant mon frère à l’œuvre au stud à cinq cartes. Il s’agissait d’un homme de grand gabarit, avec une moustache noire, dont le visage était défiguré par des ulcères bruns suintants qui rongeaient le rose de ses joues et qu’il tamponnait avec un mouchoir. Il ne devait pas vivre beaucoup plus vieux que Grat.

Un soir, l’inconnu acheta le journal local de Fresno et en lut les douze pages d’un bout à l’autre ; après quoi il replia le quotidien, le laissa tomber à ses pieds et alla s’asseoir à la table de mon frère, qui battait des cartes, seul.

« À quel jeu jouez-vous, Mr Dalton ?

— Je les connais tous. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?»

Son interlocuteur sourit et se pencha en avant, les mains sous la table. Grat reçut un coup avec le canon d’un revolver dans l’entrejambe. Il réprima une plainte et tenta d’attraper l’arme, mais le chien cliqueta.

« Une femme m’a un jour demandé quel effet ça faisait, un gnon dans les roustons, médita l’agresseur de mon frère. Je lui ai répondu que c’était un peu comme se faire arracher un œil à la petite cuillère. Cela vous semble plutôt exact ?»

Grat s’écarta de quelques centimètres de la table.

« Mon nom est William Smith, poursuivit l’homme. Je suis le chef des enquêteurs spéciaux de la compagnie de chemins de fer Southern Pacific. Je n’ai pas une mine plaisante et ma personnalité est encore plus déplaisante. Voilà pour les mises en garde. Vous êtes l’un des frères Dalton. Les circulaires des chemins de fer indiquent que vous vous êtes bien amusés à l’est, dans les Territoires, à voler des chevaux, etc. On raconte que vous êtes des cousins de Cole Younger et que vous avez été représentants de la loi. Je vous avouerais qu’avec pareil pedigree, je ne vous fais pas confiance pour deux sous.

— Vous pourriez éloigner ce pistolet ? le pria Grat. Ça a tendance à me distraire. »

Smith se rassit au fond de sa chaise et reprit : « La Southern Pacific de Mr Leland Stanford et la Wells Fargo Express Company se sont fait dévaliser douze mille dollars par des bandits à Pixley en 1889 et vingt mille de plus cette année. Ces deux attaques sont pour moi des flétrissures plus infâmes encore que la bouillie qui me sert de gueule. Ce sont des hontes personnelles telles que je n’en tolérerai plus d’autre. Que ce soit bien compris : vous vous approchez d’un de mes trains, je vous troue la cervelle. »

Grat eut un sourire et se pencha à son tour en avant, les joues calées sur ses poings.

« Vous impressionnez peut-être les trimardeurs, les bagagistes et les gosses qui jettent des mottes de terre sur les wagons en les menaçant de leur couper leur petit oiseau, mais j’ai déjà arraché le lobe d’oreille d’un type avec les dents avant de l’avaler, donc vous m’excuserez si je ne me pisse pas franchement dessus après votre petit laïus. »

L’homme de la Southern Pacific se leva de sa chaise et rengaina son revolver nickelé dans son étui de ceinture : « On m’avait bien averti que vous étiez stupide. »

 

 

Grattan n’était pas le seul des Dalton que Smith avait à l’œil en Californie. Il surveillait aussi notre frère Littleton, qui était bien plus âgé que nous et aussi pépère qu’une salopette, ainsi que Bob et McElhanie, qui débarquèrent chez notre cousin Sam Oldham à Kingsburg en novembre. Il affirma même que McElhanie n’était autre qu’Emmett Dalton sous un faux nom. Je suppose qu’on se ressemblait un peu. Et Smith surveillait aussi mon frère Bill, qu’il tenait pour le plus dangereux d’entre nous.

William Marion Dalton mesurait un mètre quatre-vingt-cinq et, en 1891, il avait vingt-huit ans, soit sept de plus que Bob et deux de moins que Grat. Il avait épousé en 1883 une dénommée Jenny Blivens du comté de Merced, la fille d’un agriculteur prospère. Bill était un homme heureux, prompt à décocher des clins d’œil et à donner des claques dans le dos, un homme qui avait la mémoire des noms, de grandes ambitions politiques, les yeux bleus et une barbe semblable à celle du défunt président Lincoln. Il parlait comme un éditorialiste et il était aussi populaire à Clovis et à Paso Robles que le clown de la classe dans une école de garçons. Les compagnies de chemin de fer et leurs représentants étaient ses ennemis intimes, le « ils » récurrent de toutes ses phrases. Il avait été directeur de campagne pour Ed O’Neill lorsque celui-ci avait été élu shérif du comté de Fresno sur la liste électorale hostile aux chemins de fer, et il était le fils que n’avait jamais eu T. W. Breckinridge, un avocat pénaliste respecté.

Il les avait tous deux invités à dîner avec leurs épouses et, après le rôti de porc et la tarte à la rhubarbe, il était allé embrasser ses enfants dans leur lit, puis avait rejoint ses amis au salon pour fumer des cigares verts pendant que les femmes faisaient la vaisselle et chantaient des cantiques. Ils évoquèrent tous trois une éventuelle candidature à l’assemblée de Californie. Bill pouvait se présenter soit en tant que démocrate, soit en tant que populiste, et il bénéficierait vraisemblablement du soutien financier d’Adolph Sutro, le pamphlétaire hostile aux chemins de fer. Mon frère avait écouté les louanges qu’on lui adressait en faisant rouler son cigare entre ses lèvres.

C’était alors qu’un certain Mr Smith de la Southern Pacific, tout en sourcils et en épaules, avait frappé à la porte avec circonspection et que Bill lui avait ouvert.

« Vous êtes un électeur ?» s’était enquis mon frère avec un grand sourire.

Smith se présenta, Bill répliqua en plaisantant qu’il le laisserait quand même entrer et le responsable de la sécurité s’installa sur le bord d’une chaise qu’on avait ramenée pour lui de la salle à manger en appliquant un mouchoir sur ses joues. Breckinridge se servit un bourbon et se posta à l’écart, d’où il observa le shérif O’Neill, dont le trait le plus saillant était son nez (à tel point qu’on le surnommait « le mulot » quand il était gamin), qui causait boutique avec Smith histoire de meubler la conversation. O’Neill demanda à Smith ce que donnaient les bénéfices de la Southern Pacific et si on avait déterminé qui étaient les auteurs des deux dernières attaques. Breckinridge rapporta un verre à Bill et se rassit. Mon frère et lui prêtaient l’oreille comme s’ils n’avaient rien de mieux à faire. O’Neill voulut savoir si la Southern Pacific avait adopté des mesures de précaution supplémentaires pour empêcher les coups de main contre les voitures de messagerie.

« On est à l’affût des suspects potentiels, déclara Smith. C’est le plus important.

— Ah, fit Breckinridge. C’est bien.

— Il y a ici beaucoup de non-dit, alors je vais mettre les pieds dans le plat, lâcha Smith en se tournant vers mon frère Bill. Je vous prédis un avenir radieux, Dalton. Peut-être même que vous serez un jour président. Gardez simplement vos distances avec vos frangins.

— Mes frères sont des gens très bien, objecta Bill. Ils sont jeunes, c’est tout.

— Ils sont casse-cou, ils sont irréfléchis et ils ne vivront pas vieux », lui opposa Smith  – sur quoi il se leva et partit.

 

 

Mon frère Bob et McElhanie avaient dans un premier temps dormi dans le cellier à fruits de mon frère Littleton, qui avait dans les trente-cinq ans, mais se comportait comme s’il était bien plus âgé. Il avait une épouse sévère, une barbe noire qui le faisait ressembler à un mormon, il ne décrochait presque jamais un mot et sa femme et lui allaient se coucher tous les soirs à huit heures. Bob décréta que c’était le purgatoire, aussi McElhanie et lui passèrent-ils ensuite le plus clair de leur temps chez notre cousin Sam Oldham, qui possédait une maison à un étage près de Kingsburg, à jouer au rami ou au pitch[3] et à marcher dans la rue à la hauteur de filles qu’ils ne connaissaient pas, en vue de s’aboucher. Ils se rendirent un samedi soir à un bal à l’hôtel Brick, où ils jouèrent les durs et se pavanèrent du côté de la salle réservée aux dames, le pistolet dans le pantalon, disposé de manière à suggérer une érection. Pour finir, un conseiller municipal mielleux flanqué de deux gros bras avait interrompu Bob durant une danse pour l’informer que les voyous armés n’étaient pas les bienvenus en ville, puis plus tard, Bob avait eu une empoignade avec deux cochers et, au matin, il s’était réveillé sur un oreiller encroûté de sang.

Le lendemain, Bob et McElhanie abandonnèrent Kingsburg ; ils embarquèrent leurs chevaux dans le wagon à bestiaux et prirent place dans la voiture fumeurs à l’avant du train numéro 17, surnommé l’Atlantic Express, qui reliait San Francisco à Los Angeles. Ils séjournèrent pendant deux jours dans une station thermale, où ils prirent des bains de vapeur, burent de l’eau minérale et jouèrent au bowling sur une pelouse verdoyante. Bob écrivit une lettre à l’intention d’Eugenia Moore qu’il adressa au ranch de Jim Riley. Ils mangèrent des oranges cueillies à même l’arbre et retroussèrent leur pantalon pour patauger dans le Pacifique. McElhanie s’avança dans l’océan jusqu’aux genoux et se retourna vers mon frère, radieux.

« Je dirais que c’est là un bien bel exploit pour un simple vacher de l’Arkansas, se rengorgea-t-il.

— William, tu auras une vie longue et heureuse », commenta Bob.

Lorsqu’ils retournèrent chez notre frère Bill, Bob offrit à ses nièces des poupées avec des têtes en porcelaine et envoya à notre mère deux billets de cinquante dollars à l’effigie de Ulysses S. Grant.

Le shérif O’Neill ne vint pas pour le repas de Noël, alors qu’il avait pourtant accepté l’invitation et Breckinridge s’attarda à peine le temps de se rendre compte depuis le seuil que Bob était là et de placer ses cadeaux sous le sapin.

« Qu’est-ce qu’il y a ? s’émut Bob. On est contagieux ?

— Non, c’est juste que vous êtes des suppôts de Satan », blagua Bill.

Un matin, comme il ressortait des cabinets, uniquement vêtu de son pantalon, Bob remarqua un homme avec des ulcères violacés sur le visage qui le fixait, juché sur son cheval, mais l’inconnu s’éloigna sitôt que mon frère soutint son regard. Quelques instants plus tard, alors qu’il traversait la cuisine en boutonnant sa chemise, Bob avisa Bill debout près de la fenêtre du séjour, dont il tenait écartés les rideaux de dentelle.

« Je crois qu’il est temps que vous nous quittiez », annonça Bill.

Bob et McElhanie obtempérèrent. Ils chevauchèrent jusqu’au comté de Tulare, où ils plantèrent le camp près d’une voie ferrée, au milieu d’arbres fruitiers, et bouquinèrent des livres qu’ils avaient empruntés, imprimés sur du papier si fin que vous discerniez vos doigts au travers, et dont Bob se lassait au bout de dix ou douze pages, de sorte qu’il était sans cesse en train de fourrager dans le sac. Grat lui apporta une lettre écrite à l’encre rouge qu’Eugenia Moore avait postée six semaines plus tôt et qu’elle avait signée Daisy Bryant. Elle y disait qu’elle en avait assez de jouer à la maman et à la nounou avec tous « les cow-boys à six mains » du ranch de Jim Riley.

Des flocons mouillés tombaient derrière la vitre, elle écrivait à la lueur d’une bougie et Bob lui manquait terriblement. Mon frère lut la lettre à voix haute à McElhanie, puis se la fit relire par Bill. Quand McElhanie et lui firent un saut à Fresno pour le week-end en février, Bob oublia derrière lui, près du feu, une paire d’éperons dont le cuir était craquelé et dont l’une des molettes étoilées était grippée par la rouille. Ces éperons se transformèrent en pièces à conviction.

Car le 6 février 1891, trois bandits masqués prirent d’assaut l’Atlantic Express de la South Pacific lors d’un ravitaillement en eau à Alila. Ce n’était pas nous, mais ce fut quand même les Dalton que l’on accusa. La gaucherie même des malfaiteurs, si peu caractéristique de nos méthodes, constituait la meilleure preuve de notre innocence. Il n’y avait pas eu d’argent volé, car le mécanicien avait fait feu à quatre reprises sur les voleurs, qui s’étaient dégonflés et avaient bondi hors de la voiture en tirant au petit bonheur la chance, comme si leurs pistolets leur tremblaient dans les mains. Le chauffeur avait cependant été touché à l’estomac alors que les criminels fuyaient en direction de leurs montures et il était mort le lendemain dans l’après-midi, en crachant du sang dans une bassine.

La Southern Pacific avait affecté à l’enquête sur cette tentative de vol à main armée et ce meurtre l’agent spécial W. E. Hickey, qui s’était vu assigner le détective Will Smith comme assistant. Et ce fut avant même d’avoir entrepris la moindre investigation que Smith s’installa à un bureau à cylindre au dépôt ferroviaire de Fresno pour rédiger un télégramme à l’attention de Hickey, à San Francisco. À la suite des mots « Principaux suspects » figuraient Grattan Dalton, William Marion Dalton, Robert Renick Dalton, Emmett Dalton et Jack Parker.

Parker étant la marque du stylo à encre qu’il utilisa.

Mon frère Bob et McElhanie, le garçon auquel je ressemblais, résidaient à ce moment-là avec Grat à l’hôtel Grand Central de Fresno, où ils consacrèrent la majeure partie de leurs journées à jouer jusque vers le milieu du mois de mars, et ils prenaient leur petit déjeuner à une table couverte d’une nappe en lin quand, un beau jour, après avoir enfourné un toast dans sa bouche, Conway, le barman avec qui Grat s’était lié et qui vivait sur place s’approcha pour évoquer avec Grat l’attaque d’Alila et la traque des meurtriers. Il n’arrêtait pas de répéter : « Je me demande bien qui a pu faire le coup. » Puis, avant le début de sa journée de travail qui débutait à deux heures, il s’était rendu au bureau du shérif O’Neill, où il avait relu la circulaire affichée au mur promettant « une récompense de 5 000,00 $ pour l’arrestation et la condamnation de tous les individus impliqués dans la tentative de vol ».

Pendant ce temps-là, des hommes de Smith fumaient des cigarettes roulées et prenaient des notes, perchés sur leurs chevaux devant le domicile de Bill. Ils suivaient Grat partout et le 3 mars, le shérif O’Neill l’arrêta, puis le conduisit aux frais de la Southern Pacific jusqu’aux bureaux de la sécurité de la compagnie à San Francisco, où, d’après un quotidien de la ville, l’Examiner, étaient aussi interrogés Cole Dalton et Jack Parker. Ce qui n’était que foutaises.

Attablé dans sa cuisine en compagnie de Breckinridge, Bill ne put qu’enrager en parcourant les journaux locaux.

« Tu penses qu’il y a moyen de sauver les meubles ? s’inquiéta mon frère.

— Honnêtement, il est trop tôt pour le dire. »

Bob, qui avait toujours su quand s’éclipser, ficha le camp de l’hôtel Grand Central et vécut pendant quelques semaines dans une écurie de louage, dans une ville où l’on produisait du vin et où McElhanie fut un temps embauché pour attacher des ceps de vigne à des échalas.

Grat fut libéré à San Francisco, mais interpellé de nouveau à Fresno par William Smith, qui s’imaginait que ce genre de harcèlement inciterait le reste de la bande à se montrer. Lorsqu’il constata qu’il n’en était rien et qu’il se lassa de s’entretenir avec mon frère, Smith le relâcha et, sitôt hors de prison, Grat se rendit au bordel, où il passa la nuit, avant de faire halte chez un cireur de chaussures, puis au saloon de l’hôtel Grand Central. Conway, son ami d’un temps, enfila son tablier blanc, lui offrit cinq whiskies et le questionna :

« C’est toi qui as fait le coup, pas vrai ? Tu peux me le dire. C’est toi qui as attaqué ce train à Alila. La description qu’ils donnent, c’est ton portrait craché. »

Grat siffla son dernier whisky et Conway sortit un pistolet de dessous le bar.

« Regarde un peu ce que j’ai dans la main.

— Je crois que j’ai déjà vu un de ces trucs, ironisa Grat. Ça sert à faire du bruit, non ? »

De la main gauche, Conway abattit une fiche cartonnée sur le bar et ânonna ce qui y était inscrit :

« Grattan Dalton, en qualité de citoyen, je vous arrête pour avoir tenté de dévaliser le train 17 dans la soirée du 6 février. »

Grat haussa les épaules, descendit de son tabouret au comptoir et patienta pendant que Conway ôtait son tablier et rangeait l’arme à côté de la caisse enregistreuse avant d’escorter le prévenu jusque dans la rue.

Ce soir-là, se fondant sur des renseignements fournis par le shérif O’Neill, Smith, accompagné de deux adjoints, alla jusqu’à Clovis pour exécuter un mandat d’arrêt à l’encontre de Bill, qui, après avoir boutonné sa veste de costume et embrassé Jenny et les enfants, s’avança dehors avec un grand sourire, les mains bien au-dessus de sa tête. Il salua l’un des adjoints et lui demanda si ça bichait.

Smith entraîna le fils de Bill âgé de quatre ans jusqu’à la véranda à l’arrière de la maison, lui tendit une pastille à la menthe et lui demanda où était Bob. Je n’ai jamais pigé où le petit avait péché cette idée, mais il répondit : « Oncle Bob est à Seattle. » Smith prit cela pour parole d’évangile et Bob ne fut jamais inquiété par ses poursuivants.

Bill et son escorte se mirent en selle et se dirigèrent au pas jusqu’à la prison du comté, située à Visalia, où, à la clarté jaunâtre d’un bec de gaz, Smith fit à Bill une seconde lecture du mandat d’arrêt à l’intention d’un journaliste.

« Ce que j’aimerais savoir lire comme toi, Smith ! s’extasia Bill. Je parie que les femmes doivent te bouffer dans la main. »

 

 

Les preuves contre Bill se limitaient à une paire d’éperons en cuir craquelé censés lui appartenir et avoir été découverts dans une planque des Dalton. Grat et Bill furent inculpés de complicité par instigation, car il fut établi que tous deux se trouvaient dans un rayon de quatre-vingts kilomètres d’Alila le soir du crime. Bob et son acolyte, les auteurs désignés, apprirent cela le 26 mars dans une circulaire ferroviaire qui complétait celle de la fin février et réduisait le montant de la récompense à 3 600,00 $. Au lieu de prendre immédiatement la fuite, ils gratifièrent leurs chevaux d’une ration d’avoine et de maïs et baguenaudèrent l’après-midi entière autour d’une table de billard, appuyés à leurs queues. Ils firent un copieux dîner dans un restaurant où ils ne réglèrent pas l’addition et, vers huit heures, quittèrent la Californie en direction de l’est.

Tandis que, torse nu et un foulard rouge sur la tête, McElhanie et le prince des Dalton cheminaient vers Needles à travers le désert de Mojave, le 6 avril, mes frères Grat et Bill furent introduits dans une salle de tribunal en bois vernis sombre. L’audience était présidée par le juge Wheaton A. Gray, ami de Bill et beau-frère de l’avocat de la défense, T. W. Breckinridge. Celui-ci plaida non coupable et sollicita que Bill soit remis en liberté sous caution personnelle.

« J’admets une certaine sympathie pour vous, exposa Gray, mais je ne peux me permettre davantage de partialité avec mes amis qu’à l’égard d’un étranger. La caution est de quatre mille dollars. »

Comme Bill n’avait pas une telle somme, on le renvoya en prison avec Grat. Le procès fut fixé au 18 mai, puis repoussé à juin. On accumula les preuves peu probantes, que l’on versa au dossier en tant que pièces à conviction. On produisit deux chevaux découverts en train d’errer en liberté et l’on affirma qu’il s’agissait de ceux utilisés pour fuir après l’attaque d’Alila.

« Oh, un peu de sérieux ! » protesta Breckinridge.

Mais ce fut tout. Il tenait pour acquis que le procès n’aurait jamais lieu et en confia la préparation à l’un de ses assistants.

 

 

Depuis notre retraite du territoire du Nouveau-Mexique, Bryant, Miss Moore et moi séjournions chez Big Jim Riley, à un peu moins de cent kilomètres de Kingfisher, dans une maison blanche de deux étages pourvue d’une dizaine de gables et d’une véranda ornée de volutes tarabiscotées. Riley était un gros type jovial et fier-à-bras dont le rire imprévisible était aussi retentissant qu’une porte qui claque. Il avait pour épouse une squaw bistrée qui paraissait se tenir à longueur de journée à côté de la bouilloire dans la cuisine et se déplaçait pieds nus dans la maison, les jupes retroussées au-dessus du genou. Grattan avait vendu pour le compte de Riley des caisses de whisky bourbeux aux Indiens et ces transactions avaient été si lucratives pour notre hôte qu’il se sentait redevable à tous les Dalton. Pour un dollar par semaine chacun, il nous logeait donc tous les trois dans une longue pièce jaune ensoleillée au parquet en chêne, qu’un décorateur de l’Est avait envisagée comme une salle de musique et à travers laquelle Bryant tendit des cordes à linge afin qu’Eugenia puisse y suspendre des couvertures de démarcation.

Bryant dormait par terre sur un matelas rayé comme une salopette de cheminot et tellement taché que je m’attendais presque à ce que des légumes en germent au printemps. Je disposais pour ma part d’un lit de camp en acier, d’une courtepointe à carreaux et d’un fauteuil à bascule dans le dossier duquel étaient sculptées des nymphes jouant du flûtiau dans une clairière. Je pouvais demeurer des heures dans ce rocking-chair, à contempler la neige qui se déposait sur les meneaux des fenêtres ou à écouter le grattement du stylo d’Eugenia rédigeant une lettre pour mon frère Bob.

Elle resta pour l’essentiel sur son quant-à-soi cet hiver-là. Allongé sur mon lit, je relevais parfois du bout du pied la couverture de séparation et j’entrevoyais les poils blonds de ses chevilles comme elle allait jusqu’à sa table à rallonge ou une bottine verte qui montait et descendait, actionnant la pédale de sa machine à coudre, ou un pied nu qui s’élevait du lac étale de son peignoir sur le sol, avant de l’entendre tordre l’éponge dans sa cuvette blanche en terre de fer tandis que des gouttes d’eau s’écrasaient au sol et pailletaient un magazine abandonné par terre. Le samedi, elle avait le droit de se servir de la baignoire à pattes de lion de la cuisine et après le dîner, elle et moi, nous fumions ensemble des cigarillos noirs pendant qu’elle me faisait la lecture à haute voix. Les cow-boys du ranch lui rendaient constamment visite ; ils lui faisaient cadeau de boîtes de confiseries, de dattes, de fruits secs et se comportaient avec elle comme si la reine leur avait fait l’honneur d’une audience. Entendre la voix d’une femme et la gratifier d’un baisemain au moment de prendre congé leur suffisait  – même si certains tendaient à se montrer inconsidérés quand ils étaient ivres, si bien que j’étais obligé de les assommer avec un cendrier en bronze de l’hôtel Savoy.

Mes frères nous avaient adressé depuis la Californie des lettres et des télégrammes nous informant des menées de la Southern Pacific, aussi Eugenia ne fut-elle guère surprise quand, en mars, le marshal adjoint Ransom Payne se présenta pour interroger Riley sur Newcomb, Bryant et McElhanie, qui avaient une fois ou deux été aperçus sur ses terres. Eugenia polissait l’argenterie, les manches de sa robe remontées au-dessus du coude, et elle écartait de son front l’une de ses mèches blondes lorsqu’elle ouvrit la porte à Payne, qui la prit pour Daisy Bryant, la sœur de Blackface Charley  – certitude dont il ne démordit pas jusqu’à la fin.

Payne était un ancien agent immobilier d’une quarantaine d’années qui était né dans l’Iowa et avait étudié dans le Kentucky, mais c’était surtout un grand escogriffe vaniteux qui se donnait des airs de libertin. Il avait une moustache blonde cirée qui faisait sa fierté et était aussi large que ses oreilles et il eut bien soin de ne pas froisser son pantalon lorsqu’il prit place dans le petit salon pour poser ses questions. Eugenia prépara du thé et Payne causa de lui-même pendant deux heures, faisant au passage mention de son enquête sur la bande des Dalton pour une compagnie ferroviaire californienne. Il n’eut par la suite de cesse de revenir et d’apporter à Miss Moore tantôt des bulbes d’iris, tantôt un mezzo-tinto de la tour Eiffel toute neuve, tantôt un œuf de Pâques en chocolat à l’intérieur duquel vous discerniez, en l’approchant de votre œil, un séduisant Jésus assis parmi des petits enfants  – de sorte qu’Eugenia obtint de Payne des renseignements si complets concernant les événements en Californie que nous en savions plus long à mille six cents kilomètres de distance que les malfaiteurs présumés.

En avril, j’étais presque résolu à embarquer dans un train à destination de Fresno ou de San Francisco afin de me livrer à l’agent spécial Hickey, dans l’espoir que l’apparition du fameux Emmett Dalton chamboule le dossier de l’accusation, quand Miss Moore apprit par le truchement de Ransom Payne que Bob Dalton avait fui l’État, aussi me suis-je borné à attendre que mon frère me fasse part de son avis, en observant le plafond, étendu sur le dos, et en écoutant Bryant qui se rognait les ongles des pieds avec un couteau, tenait des propos incohérents dans sa barbe au sujet d’un dénommé Esterhazy ou démontait, puis remontait son pistolet, une montre de gousset à côté de son genou  – son record étant de seize reconstructions en une heure.

 

 

Je m’étais entre-temps remis à faire la cour à Julia Johnson et je n’étais guère désireux de repartir, car elle n’était plus aussi éberluée par Emmett Dalton, ni aussi sûre d’elle depuis qu’elle était au courant que j’avais dévalisé cette taverne. Je gagnais Bartlesville à cheval, par les routes glissantes, je me pointais, tout penaud, sur sa véranda avec mes jambières en peau de chèvre encroûtées de gadoue, le visage moucheté de projections de boue pareilles à des taches de rousseur et des grains de beauté, je grattais mes cheveux embroussaillés par le port du chapeau et, le visage barré par un sourire idiot, je lâchais : « Je suis un vrai souillon, hein ? »

Je me lavais dans la cuisine, je salissais les torchons en me séchant les mains et je semais des miettes de cookie partout en louant la beauté de Julia. Débarquait alors un pharmacien local vêtu d’un costume immaculé à fines rayures claires pour inviter Julia à une soirée de l’église  – ou un topographe de l’armée en uniforme bleu avec un sabre, qui rentrait d’une soirée avec un demi-litre de crème glacée fondante et qui me transperçait d’un regard hautain de lieutenant, avant de s’éloigner au galop. Julia était flattée d’être courtisée par tous les célibataires des environs et je n’avais rien de l’homme idéal. J’étais un vacher mal dégrossi, dépenaillé, maladroit, sans éducation, sans le sou, sans même une certaine beauté rude, qui n’avait guère plus à offrir à la fille qu’il aimait que les avis de recherche à l’effigie de ses frères et de lui-même. Le vague à l’âme de Julia me contaminait. J’étais si préoccupé par ce dont nous allions bien pouvoir discuter que j’ébauchais des conversations à l’avance et que je m’entraînais à disserter avec esprit de sorgho, de gouttières ou de cartouches à percussion annulaire. J’élargissais mon vocabulaire auprès d’Eugenia, puis incorporais astucieusement ce nouveau lexique à mon laïus, concluant par exemple : « Mais je suis trop prolixe, n’est-ce pas ? » Ou, comme je bâillais dans mon fauteuil : « Décidément, les mois froids me rendent torpide. »

Ainsi, peut-être était-ce en désespoir de cause que j’avais invité Julia au ranch afin qu’elle puisse rencontrer la bonne amie de Bob, Miss Eugenia Moore, dont je lui avais tant parlé. Elles étaient aussi différentes que l’huile et le vinaigre, mais je me disais que chacune n’en serait que plus amusante et engageante aux yeux de l’autre. Ça n’a pas été l’une de mes plus brillantes idées  – à vrai dire, elle ne valait pas un kopeck. Riley avait emmené sa squaw à Dallas pour un rodéo, Bryant était au bordel en quête de nouvelles expériences et nous avions la maison pour nous tout seuls. Tandis que je faisais le pied de grue derrière elles dans la cuisine, Julia et Eugenia s’efforcèrent de mitonner un repas extravagant sans cesser de se rentrer dedans. Miss Johnson renversa par terre les tasses métalliques graduées contenant les condiments de Miss Moore et Miss Moore tamponna avec une marmite d’eau qu’elle désirait faire bouillir la casserole de Miss Johnson déjà sur le feu. Elles avaient systématiquement des visées sur la même cuillère, la même louche, la même boîte de sel et leur collaboration, qui avait commencé avec des rires bon enfant, avait au bout d’une heure tellement viré à l’aigre qu’Eugenia s’était exclamée : « Voulez-vous bien dégager de mon chemin ? »

Nous avons mangé autour d’une table cirée aux reflets violets. Le papier peint insistait pour que les roses éclosent d’autres roses et le lustre en verre au-dessus de nous dégouttait de cire de bougie blanche. J’ai joué les vieux seigneurs enjoués avec ces dames à ma droite et à ma gauche, qui, si elles me souriaient en retour, ne levaient que rarement les yeux vers leur engageant vis-à-vis, et lorsque les babillages se sont éteints pour céder la place à un blanc de cinq minutes meublé de cliquetis de couteaux et de fourchettes, Eugenia a entrepris de le combler à l’aide de confidences sur son passé.

« J’ai été expulsée de Holden College, dans le Missouri, pour dépravation, nous a-t-elle avoué. J’ai été surprise in flagrante delicto…

— Qu’est-ce que ça veut dire ? suis-je intervenu.

— C’est du latin, a-t-elle expliqué. Ça signifie “en flagrant délit”. J’étais avec un professeur de géographie célibataire qui avait une grande barbe pareille à un bavoir. Il m’a entraînée jusqu’à une table du réfectoire, il a troussé mes jupes jusqu’aux épaules et il a parcouru les contours de mon corps de ses mains moites. Mon principal regret quant à cette brève étreinte restera toujours qu’il ait entendu des pas et paniqué avant de m’avoir déshonorée. »

J’ai bien tenté de caser un « Ho, ho, ho ! » guilleret au milieu de ce récit, mais personne d’autre n’a semblé amusé et Julia avait le visage en feu.

« Après avoir promptement mené à bien ma déchéance, j’ai essayé de me racheter en devenant institutrice dans l’Oklahoma, mais j’ai trouvé ça ingrat. J’ai ensuite habité avec un joueur indien du nom de Jesse White Wings, Jesse “Ailes blanches”, qui m’a enseigné comment voler des chevaux. Et j’ai appris à sortir de prison sans être inquiétée rien qu’en accédant aux désirs secrets des geôliers  – une simple pose lascive était parfois suffisante. Rien de tout ça ne m’est apparu bien rebutant.

— Eh bien, que de talents ! l’a raillée Julia. J’imagine que vous ne serez jamais sans emploi.

— Ho, ho, ho ! me suis-je esclaffé à nouveau.

— Je dois dire que je n’ai jamais considéré la virginité comme une condition enviable, a riposté Eugenia. Et l’innocence ne me paraît pas davantage faire le bonheur que l’analphabétisme. Je ne tiens pas à être une de ces gentilles filles surprotégées et effacées dont l’inébranlable chasteté constitue la plus grande fierté. »

J’ai adressé un regard implorant de moribond à Miss Moore, mais elle dut l’attribuer à la cuisine de Julia, car elle poursuivit :

« Je ne veux pas devenir une de ces vieilles tantes minaudières, geignardes et stériles qui craignent pour le salut de leurs âmes dès qu’elles tardent un peu à faire la vaisselle. La seule approbation à laquelle j’aspire est la mienne. »

La pensée que ma soirée de rêve était en train de capoter m’avait alors déjà traversé l’esprit et j’ai tenté de sauver la situation en recourant à l’une de mes expressions érudites :

« Je suis navré de te voir prendre ombrage de la sorte, Eugenia », ai-je débuté.

Mais Julia a contre-attaqué :

« J’en déduis que vous recherchez les sensations fortes, c’est ça ? Vous êtes une de ces femmes qui ne supportent pas l’ennui, qui souhaiteraient que la vie soit plus intéressante. Franchement, j’en ai ras-le-bol qu’il arrive quelque chose à tout instant. Pourquoi faut-il que tout le monde soit célèbre ? Pourquoi tout un chacun désire-t-il que son nom figure dans le journal ? Qu’y a-t-il de si merveilleux à être fascinant ? Personnellement, je préfère encore être gentille, surprotégée et effacée plutôt que d’être obsédée par la notoriété.

— Vingt dieux ! me suis-je écrié. Rien de tel qu’une bonne discussion bien animée. »

Eugenia m’a ignoré.

« Oh, ma chère, je vous ai toute perturbée… Je vous ai coupé l’appétit ? Pardonnez mes mauvaises manières. Je crois que je ferais mieux de me retirer pour aller semer l’émoi chez les vachers. »

Elle m’a souri en se levant de table et comme elle longeait le couloir, je l’ai entendue proférer, d’un ton de tragédienne : « Forces du mal, je m’offre à vous ! »

« Eh bien, voilà qui donne à réfléchir, hein, Julia ?» ai-je hasardé.

Elle fixait son assiette et prenait sur elle-même pour ne pas pleurer.

« À mon avis, si vous faisiez l’inventaire, vous vous apercevriez que vous avez beaucoup en commun, toutes les deux, ai-je continué. Vous n’avez pas la même philosophie, c’est tout.

— Non, m’a opposé Julia. Je crois surtout que Bob lui manque. »

Je dus admettre que c’était vrai. La présence de mon frère aurait soulagé bien des gens.

 

 

Fin avril, Bob et McElhanie atteignirent la frontière de l’Arizona et descendirent sur leurs montures la pente orangée et glissante de la berge ouest du fleuve Colorado. Ils abreuvèrent leurs bêtes et les firent paître, puis les tirèrent dans l’eau rougeâtre et s’agrippèrent à la corne de leur selle. Les animaux ballottés et effrayés renâclèrent et, le temps de parvenir de l’autre côté et de laisser derrière eux la Californie, le courant les avait déportés d’un kilomètre et demi.

McElhanie et mon frère dessellèrent leurs chevaux et s’étendirent sur le dos dans l’herbe, en appui sur les coudes, pendant que leurs montures se roulaient dans la poussière.

« J’ai pas la cervelle assez agile pour les attaques à main armée, Bob, déclara McElhanie. Je suis seulement heureux avec des outils entre les mains.

— Comment ça ?

— J’en peux plus d’être traqué, voilà ce que je veux dire. J’ai l’estomac tout retourné.

— Tu veux laisser tomber, résuma Bob.

— C’est ça, acquiesça McElhanie. Tu as mis en plein dans le mille. »

Ils vendirent donc leurs chevaux à un berger et sautèrent dans un train à destination du territoire de l’Oklahoma, où ils se séparèrent. Puis le « Narrow Gauge Kid » regagna l’Arkansas à pied, où il fit un jour l’acquisition d’une petite ferme et mourut dans son lit en caressant un chaton, avec la radio allumée dans la cuisine.

Bob aurait bien rejoint le domicile familial à Kingfisher, si ce n’est qu’après avoir fait le guet tout une après-midi dans les Badlands, perché dans les branches supérieures d’un peuplier de vingt mètres de haut, il avait constaté qu’il était filé par un détective des chemins de fer vêtu d’un costume sombre et d’un stetson gris d’homme d’affaires, qui s’accroupissait de temps à autre à côté d’une empreinte et bourrait sa pipe avec une allumette en jetant des coups d’œil alentour.

Bob se cloîtra dans une chambre à vingt-cinq cents dans l’ancien village d’esclaves de Dover, au nord de Kingfisher. Des cow-boys en chapeaux mous à larges bords et en imperméables y paradaient au petit trot dans la rue principale, sourcils froncés, crachant par terre, avec des airs d’aristocrates, mais le reste de la population se composait de Noirs avec des bretelles et des chemises de grosse laine, de Noires avec des foulards et d’enfants aux cheveux attachés qui lançaient des trucs sur Bob, puis s’enfuyaient. Ma mère lui rendit visite une après-midi et ils se retrouvèrent derrière l’église baptiste. Ils se promenèrent bras dessus, bras dessous sous les arbres en fleurs et elle sourit lorsqu’il lui parla de Littleton, de Bill et de ses petits-enfants. Elle mentionna à Bob que les mines de charbon embauchaient, mais s’abstint de toute autre allusion à l’argent ou à un métier.

Bob cessa de se raser, s’initia au snooker avec quelques autochtones et se dégotta, moyennant finance, une adolescente qui exhalait la même odeur que le sol d’une cave et s’était défrisé les cheveux avec un fer à repasser.

Il rentrait un soir après une partie de billard lorsqu’il avisa les rideaux de sa chambre à l’étage qui flottaient par la fenêtre. Il gravit l’escalier quatre à quatre, pistolet armé à hauteur d’épaule et poussa la porte non verrouillée, derrière laquelle il découvrit Eugenia qui fumait une cigarette à la lueur d’une unique lampe à pétrole. Elle se retourna avec un sourire et s’approcha de lui en déboutonnant son chemisier.

« J’espère qu’il te reste encore quelques forces », fit-elle.

Le sang des Dalton
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